Chaque année, près de 750 000 personnes meurent d’un cancer de l’estomac, l’un des cinq cancers les plus meurtriers. La raison principale ? Une bactérie pathogène qui colonise l’estomac d’une personne sur deux dans le monde et qui était encore totalement inconnue il y a 40 ans. A-t-elle envahi les couches profondes de votre estomac ? Faites-vous partie des prochaines victimes ?
Jusqu’en 1982, il était inconcevable qu’un organisme vivant puisse proliférer dans un milieu aussi hostile que notre estomac. Et pourtant, deux chercheurs vont découvrir l’existence d’une bactérie inconnue en étudiant la paroi de l’estomac de personnes atteintes d’ulcères. Elle est rapidement suspectée de provoquer des troubles gastriques divers, notamment le cancer de l’estomac, et dès 1994, sa culpabilité est avérée : l’
Agence Internationale de Recherche sur le Cancer classe la bactérie
Helicobacter Pylori comme carcinogène de classe I, c’est-à-dire entraînant un risque de cancer certain chez l’homme. Aujourd’hui, le nombre de ses victimes apparaît vertigineux : entre 500 000 et 700 000 personnes succombent chaque année des suites d’une lente colonisation de leur estomac. La situation est d’autant plus alarmante qu’une personne sur deux dans le monde serait infectée !
Comment Helicobacter Pylori provoque-t-elle le cancer ?
Comment cette bactérie peut-elle survivre à l’acidité exceptionnelle de l’estomac ? Comment expliquer qu’elle puisse rester discrète pendant des années avant de déclencher subitement un cancer ? Grâce aux toutes dernières études parues en décembre 2017, les chercheurs commencent à avoir des réponses précises à ces deux questions.
Helicobacter Pylori est une bactérie exclusivement adaptée à l’estomac humain. Avec ses filaments mobiles, elle est capable de se déplacer dans le suc gastrique et traverser sans peine le mucus qui recouvre la paroi de l’estomac. Elle y survit grâce à sa production d’uréase, une protéine qui permet de neutraliser l’acidité du milieu par la transformation de l’urée en ammoniac qu’elle induit
1. Une fois dans l’estomac, la bactérie sécrète une enzyme (la HtrA) capable de
couper les liaisons qui attachent les cellules de la muqueuse gastrique entre elles. Or, ces liaisons garantissent l’imperméabilité de la couche protectrice de l’estomac. Toute rupture permet donc à Helicobacter Pylori de franchir la barrière et de s’immiscer dans les couches les plus profondes, normalement inaccessibles aux pathogènes, afin d’y infliger des dommages
dans la clandestinité la plus totale.
Mais que fait le système immunitaire pendant ce temps-là ?
La présence d’Helicobacter pylori dans les couches profondes de l’estomac ne manque pas d’alerter la patrouille et de provoquer une inflammation chronique, mais la bactérie a plus d’un tour dans son sac. En s’accolant aux cellules hôtes des couches profondes, elle leur injecte une toxine, la protéine Cag A, capable de reprogrammer leur fonctionnement pour empêcher le système immunitaire de les reconnaître ou de les éliminer
2. Cette étape est cruciale : elle permet aux bactéries de proliférer et de
survivre à long terme dans l’organisme, au nez et à la barbe des gardiennes de l’immunité. Mais c’est elle aussi qui va transformer les cellules, à long terme, en cellules tumorales : la protéine Cag A commande en réalité une multitude de signaux secondaires, dont certains sont associés au cancer
3-5 (l’expression de la bêta-caténine et la transition épithélio-mésenchymateuse notamment). Cela ne veut pas dire que toutes les personnes infectées développeront un cancer, mais que le risque chez eux est largement augmenté, tout comme chez les fumeurs, les consommateurs excessifs de viande rouge et de sel, ou les personnes régulièrement exposées aux nitrites. Le gros problème, c’est que le cancer de l’estomac est souvent diagnostiqué à un stade trop avancé pour être traité efficacement, et que le meilleur moyen d’en guérir c’est encore de s’assurer qu’un parasite ne vit pas secrètement dans ses sous-sols gastriques.
Y a-t-il un moyen de savoir si vous êtes infecté(e) ?
Contrairement à ce que laissent présager les statistiques, il n’est pas si facile de transmettre la bactérie à une autre personne. En fait, la contamination se fait dans la grande majorité des cas durant l’enfance. Elle peut se transmettre par la salive ou par le partage des couverts, si la personne infectée a eu des régurgitations ou des vomissements au préalable. C’est pour cette raison que la transmission de la bactérie se fait surtout en bas âge, à l’école ou en famille : l’infection de l’adulte est assez peu fréquente et une fois traitée, la réinfection est même rarissime
6.
Il existe différents tests permettant d’attester la présence de la bactérie dans votre estomac. Votre médecin peut rechercher dans votre sang les anticorps dirigés contre la bactérie, repérer des traces de celles-ci dans vos selles ou détecter sa présence par le biais d’un test respiratoire, qui consiste à souffler dans un tube après avoir bu un révélateur.
Mais, il est également possible de le deviner. Puisque la couche protectrice de l’estomac est régulièrement tailladée par les bactéries, et que l’acidité y est souvent perturbée, les personnes infectées ont parfois des indices de la présence du pathogène. Les sucs gastriques peuvent attaquer les cellules plus profondes, insuffisamment protégées par la muqueuse, et provoquer des maux d’estomac récurrents, des ulcères et une inflammation chronique se traduisant par un inconfort gastrique ou une pesanteur digestive (qui survient généralement quelques heures après le repas). Les toxines d’Helicobacter pylori taquinent également le système immunitaire, lequel réagit par une prolifération lymphocytaire (sans effet sur les bactéries) pouvant à terme aboutir à un lymphome. Mais la plupart du temps, les indices ne sont pas suffisamment éloquents et c’est ce qui rend la bactérie si dangereuse…
Comment se débarrasser d’Helicobacter pylori au plus vite ?
Plus vite vous aurez chassé ce parasite de votre estomac, plus vite vous stopperez l’évolution des lésions déjà existantes vers un cancer de l’estomac. Si vous souffrez de douleurs et d’inconforts gastriques depuis des années, vous risquez également de voir la différence.
Le traitement conventionnel consiste à associer deux antibiotiques et un médicament destiné à diminuer l’acidité de l’estomac, pendant près de 2 semaines
7. Mais, depuis une vingtaine d’années, les chercheurs ont remarqué que les souches d’Helicobacter pylori devenaient de plus en plus résistantes aux antibiotiques. La communauté scientifique s’est donc plié en quatre pour tenter d’identifier des alternatives à cette thérapie pas toujours exempte d’effets secondaires.
Une piste se détache actuellement et constitue un complément ou une alternative crédible à la thérapie actuelle :
la supplémentation en Lactobacillus reuteri, un probiotique inhibiteur d’Helicobacter pylori. Des chercheurs ont démontré
in vitro et
in vivo sa capacité à interférer avec l’adhérence du pathogène et à produire des molécules antimicrobiennes qui entravent son développement
8-9. Concrètement, le probiotique réduit la quantité d’Helicobacter pylori en formant avec lui des co-agrégats évacués hors de l’estomac, puis expulsés de l’organisme par le biais du conduit intestinal. Il s’agit donc d’une alternative qui n’interfère pas avec la flore intestinale et qui ne permet pas à la bactérie de devenir résistante aux traitements. Des études avaient par ailleurs mis en évidence la propension de ce probiotique à renforcer la barrière épithéliale (laquelle est détériorée par Helicobacter pylori) et à accélérer sa réparation
10.
La prise d’un
supplément de Lactobacillus reuteri est donc vivement conseillée aux personnes suspectant la présence d’
Helicobacter pylori dans leur estomac. Elle gagnera à être accompagnée d’une augmentation de l’apport en antioxydants issus des fruits et légumes (vitamine C et vitamine E notamment)
11 et pourra renforcer un traitement antibiotique chez les personnes les plus à risque du cancer de l’estomac (cumulant plusieurs facteurs de risque ou dont les membres de la famille ont développé un cancer de l’estomac par le passé). D’ici quelques années, d’autres traitements visant plus spécifiquement la bactérie verront probablement le jour : la toxine Cag A injectée par la bactérie et l’enzyme Htra qui découpe les points de jonction entre les cellules sont les deux cibles prioritaires.
Références
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