L'extrait de racine d'ortie (Urtica dioica) est largement utilisé en Europe pour traiter l'hypertrophie de la prostate. Plus de 20 études cliniques ont démontré que, seul ou combiné à d'autres plantes, il améliore les symptômes cliniques de l'hypertrophie bénigne de la prostate et de la prostatite. La commission E allemande et l'ESCOP (European Scientific Cooperative on Phytotherapy) recommandent son utilisation spécifiquement pour soulager les troubles urinaires associés à l'hypertrophie bénigne de la prostate.
La racine d'ortie et la plante entière ont été utilisées dans la médecine traditionnelle comme astringent, diurétique et tonique. Au temps d'Hippocrate, l'ortie était employée pour traiter morsures et piqûres. Les herboristes européens l'utilisaient en infusion pour les troubles respiratoires et les indigènes d'Amérique comme aide pendant la grossesse, l'accouchement ou l'allaitement.
Un déséquilibre entre œstrogènes et androgènes
On a d'abord pensé que l'hyperplasie bénigne de la prostate se développait seulement parce qu'une forme active de testostérone, appelée dihydrotestostérone (DHT), stimulait la croissance cellulaire. La testostérone est convertie systématiquement en DHT par une enzyme connue sous le nom de 5-alpha-réductase. Cette forme est beaucoup plus active à se lier aux sites des cellules de prostate qui régulent sa croissance. Lorsque la DHT se lie à ces sites, elle active des facteurs de croissance appelés insulin-like growth factor 1 (IGF-1) qui stimulent la prolifération cellulaire. Des travaux indiquent que des niveaux élevés de ce facteur peuvent également être un indicateur du risque de cancer de la prostate.
Mais, avec l'âge, la production de testostérone diminue. De plus, les niveaux de testostérone libre, physiologiquement active, diminuent encore plus brutalement à cause d'une augmentation des liaisons à la protéine appelée sex hormone binding globulin (SHBG). À partir de 40 ans et jusqu'à 70 ans, la testostérone libre diminue environ de 1 % par an. Il faut donc trouver un autre facteur contribuant aussi au développement de l'hypertrophie bénigne de la prostate.
La réponse se trouve dans le déséquilibre qui se crée avec les années entre les niveaux d'œstrogènes et ceux de testostérone. Dans les tissus où se développe l'hypertrophie bénigne de la prostate, les œstrogènes augmentent avec l'âge agissant sur les tissus en stimulant la croissance des cellules de prostate.
Le rôle de la SHBG est de maintenir un équilibre hormonal dynamique. La SHBG se lie ou s'attache aux hormones et les transporte vers différents sites de récepteurs sur les membranes cellulaires à travers tout l'organisme où elles peuvent être utilisées de différentes manières. L'effet dépend de l'hormone à laquelle elle s'est liée et à quel site récepteur elle la transporte. Ainsi, par exemple, chez l'homme, les œstrogènes et la dihydrotestostérone liés à la SHBG sont généralement transportés vers des sites récepteurs sur la prostate ; en quantité excessive, ils peuvent alors inciter les cellules des tissus de la prostate à se diviser et à croître rapidement avec, pour résultat, une hypertrophie bénigne de la prostate.
Chez l'homme et chez la femme ménopausée, la plupart des œstrogènes sont produits à partir des androgènes. En particulier, la plus grande partie de l'œstradiol est générée à partir de la testostérone. C'est ce que l'on appelle le phénomène d'aromatisation, d'après l'enzyme qui le déclenche, l'aromatase. Donc, le stroma de la prostate, en plus de recevoir des œstrogènes à travers la circulation sanguine, en produit par aromatisation.
Différents mécanismes d'intervention
Certaines fractions de l'extrait de racine d'ortie inhibent la croissance de cellules prostatiques humaine, mais le mécanisme de cette action qui mettrait peut-être en jeu les lectines reste inconnu.
Des travaux de recherches indiquent que la racine d'ortie peut interférer avec ou bloquer un certain nombre de ces processus chimiques liés aux hormones et impliqués dans le développement de l'hypertrophie bénigne de la prostate. Dans des études cliniques, l'extrait de racine d'ortie a montré sa capacité à stopper la conversion de la testostérone en dihydrotestostérone (en inhibant l'enzyme nécessaire à sa conversion) aussi bien qu'à se lier directement à la SHBG, l'empêchant ainsi de s'attacher à d'autres hormones.
D'autres travaux évoquent la possibilité d'une interaction entre des substances présentes dans la racine d'ortie et les protéines sériques liant les androgènes (comme la SHBG), interaction qui conduirait à une variation de la concentration d'androgènes libres. L'extrait de racine d'ortie peut empêcher la SHBG déjà liée à une hormone de s'attacher à des sites récepteurs de la prostate
1.
Dans une série d'articles, des chercheurs allemands ont identifié un constituant de la racine d'ortie, le (-)-3,4-divanillytetrahydrofuran, qui a une affinité de liaison vraiment forte à la SHBG
2.
L'extrait de racine d'ortie peut diminuer la production d'œstrogènes (œstradiol et estrone) en inhibant l'activité de l'aromatase. Au moins cinq constituants de la racine ont des activités faibles à modérées inhibitrices de l'aromatase, permettant ainsi de diminuer la conversion des androgènes en œstrogènes
3.
Il a également été suggéré que les stéroïdes ou d'autres constituants hydrophobes des extraits de racine d'ortie inhiberaient l'activité de la membrane Na+, k(+)ATPase de la prostate, ce qui provoquerait l'arrêt de sa croissance
4.
L'effet antiprolifératif sur des cellules prostatiques cancéreuses d'un extrait méthanolique a été observé sur un modèle in vivo et sur un système in vitro
5. Un extrait aqueux inhiberait l'activité de l'adénosine désaminase (ADA) du tissu prostatique
6.
Plus de 15 000 hommes l'ont testé avec des résultats positifs
Des études impliquant un total de 15 000 hommes avec une hypertrophie bénigne de la prostate ont montré que l'extrait de racine d'ortie provoquait des améliorations significatives dans la taille de la prostate, de la fréquence urinaire, des mictions nocturnes et du résidu post-mictionnel
7. L'utilisation traditionnelle en Allemagne de l'extrait de racine d'ortie dans le traitement des problèmes de prostate a encouragé la réalisation de nombreux essais cliniques.
Ainsi, 41 patients avec une hypertrophie bénigne de la prostate ont été enrôlés dans une étude en double aveugle contrôlée contre placebo. Les sujets avaient un flux urinaire maximal de 15 ml/seconde et un score moyen de 18,2 sur l'échelle IPSS (international prostate symptom score). Un score IPSS de 0 à 7 est considéré comme légèrement symptomatique, de 8 à 19 comme modérément symptomatique et de 20 à 35 comme fortement symptomatique.
À la fin de l'essai, le flux maximal urinaire avait augmenté de 66,1 % (passant de 10,9 à 18,1 ml/seconde) dans le groupe traité par l'extrait de racine d'ortie contre 36,6 % (passant de 12,3 à 16,8 ml/seconde) dans le groupe sous placebo. Les scores moyens IPSS ont chuté deux fois plus dans le groupe traité (de 18,2 à 8,7) que dans celui sous placebo (de 17,7 à 12,9)
8.
Une étude multicentrique, randomisée, en double aveugle et contrôlée contre placebo, a porté sur 146 patients avec une hypertrophie bénigne de la prostate qu'elle a suivis pendant un an. Ils ont reçu quotidiennement de façon aléatoire 459 mg d'un extrait de racine d'ortie ou un placebo. Les résultats ont montré que l'extrait pouvait être considéré comme une option thérapeutique sûre de l'hypertrophie bénigne de la prostate, particulièrement pour réduire les symptômes irritants et pour ses effets antiprolifératifs
9.
Une étude sur animaux de laboratoire a montré que l'extrait d'ortie pouvait inhiber (54,4 %) une hyperplasie bénigne de la prostate artificiellement induite chez des souris
10. Ces résultats suggèrent que l'extrait pourrait être à la fois utilisé à titre préventif et comme traitement.
Dans une étude en double aveugle contrôlée contre placebo réalisée en Iran, 558 hommes ont reçu pendant six mois un placebo ou un extrait de racine d'ortie. À la fin de cette période de six mois, les sujets sous placebo ont reçu de l'extrait d'ortie. Tous ont poursuivi ce traitement pendant un total de 18 mois. Les résultats ont souligné que l'extrait d'ortie était plus efficace que le placebo sur toutes les mesures de la sévérité de l'hypertrophie bénigne de la prostate
11.
Associé au palmier scie
En Europe, l'extrait de racine d'ortie est fréquemment utilisé associé au palmier scie. Cette combinaison est justifiée puisque la racine d'ortie agit principalement à travers la voie alternative de signalisation dans les cellules de la prostate alors que le palmier scie intervient sur la première voie de signalisation en limitant l'activité du DHT. En effet, la racine d'ortie s'occupe du côté œstrogène de l'hypertrophie de la prostate tandis que le palmier scie s'occupe du côté androgène. Les deux plantes ont des effets anti-inflammatoires.
Une étude randomisée en double aveugle a comparé les effets d'une association de palmier scie et d'ortie à ceux du finastéride, un traitement médicamenteux classique, sur 543 patients souffrant d'une hypertrophie bénigne de la prostate de stade I ou II. Les deux traitements se sont montrés aussi efficaces l'un que l'autre sur différents paramètres : taux de flux urinaire, durée de la miction, scores IPSS et évaluation de la qualité de vie des patients. L'efficacité des deux traitements a augmenté avec la durée du traitement. Ainsi, le score IPSS moyen est passé de 11,8 à 8 après quatre semaines de traitement avec l'association de plantes, puis à 6,5 après 48 semaines. Dans le groupe prenant du finastéride, ce score est passé de 11,8 à 8 au bout de 24 semaines et à 6,2 après 48 semaines. Les patients ont mieux supporté le traitement associant les deux plantes que le finastéride qui a provoqué une diminution de la libido, des dysfonctionnements sexuels incluant pour certains patients une impuissance
12.
Une vaste étude d'observation impliquant 419 urologues a suivi 2 030 patients avec une hypertrophie bénigne de la prostate légère à modérée. Pendant 12 semaines, tous les patients ont reçu un mélange de palmier scie et de racine d'ortie. Des améliorations ont été observées à la fin de l'étude et, notamment : une augmentation du flux urinaire maximal de 25,8 %, du flux urinaire moyen de 29 %, une diminution du résidu post-mictionnel de 44,7 %, des mictions nocturnes de 50,4 %, de la dysurie (difficulté à la miction) de 62,1 %. 86 % des patients ont fait état d'améliorations.
Références :
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